mercredi



Parce qu'à un moment, il faut s'arrêter,  il faut bien s'arrêter,  s'arrêter de croire qu'il y aura la fin, parce qu'il faut bien s'arrêter,s'arrêter de faire tenir le monde dans le croire,le croire ou ne pas,  y aura pas la fin,la fin le croire ou pas, il faut bien arrêter ,le début ,la fin , le croire comme il y aura pas le début, je me tiens au milieu ,juste au milieu ,pas le début ,pas la fin ,pas le croire,et les papillons crevés des mythes me servent de mouchoirs où torcher sa morve :ça fait des heures que je l'attends au bar du ciel (tu parles d'un nom ), B. ne se pointe toujours pas .Une mère digne d'espérance traverse la vitrine dans les passages cloutés de la rue, pars de là,par delà  la devanture où son reflet suit les déshérances de mes pensées :possible de boire un autre kawa ou de se tirer? Je le vois plus tard ou je le vois pas, la vie me tire de tous côtés ,et c'est à peine si j'y retrouve mon propre corps dans la fouille au corps que mes pensées entreprennent. Heureusement ce bout de miroir de la salle de bains, pour me rappeller que mon image semble collée à ce qui reste de l'idée que j'ai pu me faire de moi ,au cours des années de cohabitation forcée que je viens d'endurer avec cette entité nommée et reconnue comme moi-même, par autrui ,et cette chose que: moi ,donc.C'est pas ça qui va faire arriver B ,ce genre d'amphigouri putatif le fait sourire.








Le miroir au dessus du bar est brisé et vieux. Autour des vis qui le tiennent au mur, la rouille gagne.Je m'inquiète de savoir s'il peut tomber et se briser là ,au milieu des autres verres ,qu'il briserait à sa suite.Symphonie du verre cassé.Comme ce verre en pleine cantine qui explose au vu et su de tout le réfectoire et la punition qui s'ensuit.Des lignes en verre brisées.Encore des lignes à réparer. On voit la rue qui ne se soupçonne même pas dans cette oblique. Qu'est-ce qu'on ferait donc, si l'on saisissait le moindre tracé des reflets qui nous renvoient au monde sans que nous lne le sachions jamais. Tous ces fragments  de soi qui traînent, et ne se rassemblent pas ,jamais ;ça ne tient pas ensemble,ça ne fait pas un ensemble,peut-être de l'être avec des trous des éclairs et des nappes d'images un peu floues,les fils des nerfs branchés ou brûlés,le jeu des dominos. 

Une vie entière ne tient dans rien, et surtout pas dans l'assemblage de ses ramassis qui viennent se rappeler à nos mémoires, alors qu'on ne leur a rien demandé: B tu fais chier avec tes retards à l'allumage. Obligée de peindre le dessus de table avec les miettes métaphysiques qu'un Kierkegaard a du laisser tomber sur ma tête en mon inadvertance Si je me laissais aller, je n'écrirais que des questions, avec sa volute noire qui se rabat, comme la crosse des fougères dans les sous-bois d'automne. C'est que ça galope une tête, de jour comme de nuit ,et je me demande qui peut bien la rattraper, alors que personne n'est dans cette possibilité d'en tracer les parcours géo-mentaux, et l'action que ces parcours heurtés provoquent dans cette soupe épaisse du réel.Ah ,la bonne soupe ,servie bien chaude pour grandir,à la grande cuillère.Tu seras un homme,ma fille.La fille qu'est devenue je(qui n'est pas A), s'intéresse par exemple,dans sa vie devenue par la force des choses une vie adulte, au patron du bar avec ses moustaches incluses, et son air bonhomme généralisé au grade supérieur de la normalité, qui passe une partie de son temps à ouvrir et fermer son tiroir caisse.Une journée entière, ouvrir, fermer ,ouvrir, fermer,  les boutons d'alarme le doigt sur la gachette les bruits des pressions des machines en sourdine Il ne pense pas, lui ,à ces conneries de faire tenir son monde ensemble, ça tient lui à ça son bar ses verres ses bouteilles ses torchons sa caisse ses clients. Il doit bien y avoir des moments pourtant où il pince les fesses des étoiles .
B!Putain t'es trop con là tu m'as fait peur?
tétais dans quoi encore
j'tais dans la colle du puzzle et ça colle pas
sniffe là alors
bah les odeurs c'est encore autre chose Tu sens là cette odeur de chairs, de tissus, qui s'échinent à vivre avec la maladie et tous les trucs qu'un corps bouffe pour tenir debout.
c'est l'instinct l'animal en nous qui veut alors que tout le reste vaut mieux pas y penser
qui peut penser ça
ça à penser
non
alors le milieu à tenir entre les doubles le vrai faux la vie la mort le jour la nuit
des fils à ne pas couper
en plus les fils s'embrouillent parfois
se tricotent jersey jacquard ou point mousse
tiens, à propos de mousse je m'en jetterai bien une
ah oui avec mes divagations on souffre carrément de déshydratation là
t'as vu le patron
tiens! il se ramène
Il se ramène le patron comme s'ils les avait entendus ,à moins que cela ne soit son expérience ,ou bien son instinct à faire tenir les quatre murs qui le contiennent, lui ses clients les bouteilles les murs le miroir le tiroir caisse. Le patron se ramène il les a entendus ,et il les regarde le patron tous les deux, celui qui divague devant sa tasse de café depuis plus de temps qu'il n'en faudrait pour rembourser le prix de la consommation où les frais du jour de la boutique ne tiendront jamais avec l'électricité le chauffage les fournisseurs à payer mais il s'en fout celui qui divague, il suit ses divagations autour de la tète du patron du café qui lui demande ce qu'il veut consommer lui et B.B veut une mousse et lui un autre café Un café allongé cette fois-ci ,comme pour allonger le temps de prendre le café, comme pour donner à l'eau allongée  les chances de ses divagations à surnager dans le temps qu'il reste de pouvoir divaguer.Le temps de boire un café avec B qui va boire une mousse.La mousse qui lui colle aux lèvres et qu'elle aura envie de lècher .Elle ne le fait pas.Elle le laissera avec ses empreintes de mousses sur le bord de la bouche, et regarde les croquis esquissés par le mouvement des lèvres qui signent le son des mots,des mots  dont la matière sonore est agrémentée de mousse et qu'elle voit flotter  le long du fleuve où elle est assise avec B,sur une rive ,de l'autre côté.


B.posait ses clefs.Il n'a ni vélo ni voitures ni maisons.Des clefs ,oui.Un assortiment des plus variés, dont on se demandait bien ce qu'il pouvait ouvrir à la fin.Il pose toujours son trousseau à sa droite où qu'il soit,quand il se décidait à se poser quelque part.Le trousseau à portée de la prise de la main ,prêt à partir.
Elle garde l'image de cette main sur l'éventail des clefs.C'est les clefs qu'elle décline ,bien plus que son visage à lui ,alors que le soir tombe sur les rues, le bar, les tiroirs-caisse.Les ombres porteront son visage dans  les terres  de souvenirs où elle perd pied.Les clefs se dresseraient comme des points d'interrogation.Des portes à ouvrir  ou pas.Des possibilités de portes à franchir ou à laisser.Les mots de mousse sur ses lèvres écrivent des airs oubliés   dans le clair obscur du soir qui tombe sur la table, où la soucoupe vide cherche après sa tasse abandonnée un peu plus loin ,avec le papier du sucre trituré ,puis bouchonné ,prèt à jeter.Les quelques grains de sucre qui crissent sous le derme de la paume  luiront dans la lumière de l'applique que le patron vient d'allumer.