jeudi

Il y a des nuits qui sont comme des soleils en plein jour.Je me souviens de cette nuit -là, comme d'une nuit comme ça.Une nuit qui allume, par sa petite musique secrète, les étoiles directement dans les yeux .A trois heures du mat,je suis encore dans la ruelle.Sortie de concert.Les zicos s'attardent  un peu ,quelques canettes à la main.Ils jouent avec les bouteilles ,les lèvres sur le goulot ,de la flûte de Pan.Les Andes se retournent et un condor déchire le noir.Les condés aussi ,ne sont pas loin.Il faut penser à se volatiliser, avant de prendre une prune à lacrymogène.On s'envoie des mots et des rires.Les corps se bousculent.Je veille à ce que tout le monde sorte du bar.C'est moi qui dois fermer.Il y a encore une lumière dans la pièce du fond ,un interrupteur oublié.La ruelle est déserte.Quelques bruits de moteur sur la place ,plus loin.Je rentre à pied.C'est à côté.Une ombre brusque me bouche la sortie de l'impasse.Une masse sombre,indistincte, qui s'avance à pas lents vers moi ,comme chargé du poids du jour et de la nuit, additionnés ensemble.La note est salée.Son pas martèle le sol,un peu lourd.Ma main se glisse dans mon sac.La petite bombe ,au cas où.Son pas hésite ,claudique ,une fois sur deux.La peur, étrangement, ne me gagne pas.La fascination plutôt qui m'envahit, m'enveloppe dans la vision de ce que je devine pouvoir être, un vieil homme.La ruelle semble interminable.Je me suis arrêtée depuis longtemps ,comme paralysée par l'idée de la dépasser.Cette vision, avance ,avance, sur moi ,sans progresser dans le prolongement de la rue.Un souffle tiède se propage sur ma peau ,comme un bien-être insensé,après une rude journée de boulot.Mes résistances cèdent.J'ai chaud.J'enlève mon bonnet de laine,ébroue doucement mes cheveux, comme pour ramasser quelques graines d'idées anesthésiées par le vécu du moment.C'est alors qu'une voix ébréchée me souffle à l'oreille-Je suis ton rève ,ton rêve boîteux!Crois-le si tu veux!Le vieillard est sous mon nez et fouille dans mon sac.Il prend la bombe sans rien me demander, et avant que je n'ai  le temps d'émettre le moindre son,nous en asperge jusqu'à la vider.


Il pleut.J 'ai les cheveux mouillés et une bouteille de champagne à la main.Vide.Un fleuve roule dans le caniveau avec des pelures de clémentine et des plumes de crevettes.Le jour se lève.Et moi aussi.Je boîte d'une jambe.Je rentre comme ça.C'est à côté.