dimanche

Franchement, je ne sais pas pourquoi ils m'ont privé de chocolat.



Oh,le bon chocolat ,le chocolat tout noir avec ses fèves de cacao
dont l'épiphanie quotidienne comble  mes parois stomacales.Mon petit carré de bonheur qui se fond sous la langue.Mon petit carré truffé à la praline des noisettes sauvées de l'épargne hivernale des écureuils.Mon petit carré truffé à l'amande amère, qu'elle ne me dérobera plus, dès que j'ai le dos tourné, pour le dévorer avec un autre.Mon petit carré, et puis, un autre.Non.Et puis si.La tablette que je déshabille ,peu à peu, de sa gangue argentée de strass et, de gourmandise retardée.Les froissements de sa robe qui s'ouvrent, peu à peu ,sous mes doigts savants.La bosse d'un fruit sec défendu .Le jus d'une cerise ,inattendu.On ne sait jamais avec le chocolat des cartons."Menthe !Framboise!Noix de coco!"crie l'ouvreuse, dans le cinéma perdu où je  repasse mes rêves.Y a pas foule au balcon.La pellicule grésille et le ronron du projo rassure comme la présence de votre vieux chat au fond du panier.



"Menthe !Framboise !Noix de coco!"me frôle l'ouvreuse.J'en ai déjà plein les poches de ta marchandise, ma belle,les fonds de tiroirs thésaurisés par inadvertance.Je peux tenir l'embargo en suçant doucement.Un carré par jour,tiens.Un gros carré du chocolat Menier patisserie,enfin un bout de sa barre qui casse à la dure.Je vais prendre mon temps.C'est ça qu'ils veulent, que je prenne mon temps.Le temps de le dire ,de me le dire à moi-même ,en long et en large, sans que personne ne m'écoute.J'arpente mon désir dans la bouche.Mes dents poussent comme des montagnes ,où je m'offre des vacances aux sports d'hiver.Luge et raclette au programme.Flambée dans l'âtre.Peaux de chamois sur les lits et moufles trempées sur les radiateurs.La vie est belle quand on est privé de chocolat.Pourquoi ils font ça.Je ne leur ai rien fait, moi.Je roule.Je roulais.Avec les roues adéquates en service aux normes de sécurité en vigueur dans la savane autorisée.

Je veux mon carré.

Je veux.Je veux.Je veux.

Je ne reste pas là à rien faire malgré les apparences.Je me donne une situation ,un alibi ,une raison d'être et ça ne court pas les rues ,une raison d'être telle que la mienne.Ils veulent me faire cracher autre chose.Je ne sais pas ,moi, des bandes de  rôtis de veau,des armées de quiches lorraines surgelées,une bouteille de porto qui hurle son couvre-feu,des yaourts à l'eucalyptus,un sachet de levure assermenté,les inventaires du magasin du mois dernier à faire rimer ,la fiche de paie du gérant vert,la quotation en bourse de la chaîne de franchise affranchie mais pas franchement de la France où son siège social bourre le cul à la maison mère,le curriculum vitae du gorille de l'entrée,houba houba,le chiffre du coffre fort des actionnaires qu'ils veulent jouer au loto d'un vendredi 13,le nombre de caddies achetés cette année pour remplacer les défaillants ,le caddie que j'ai volé avec Armelle pour nous faire une virée au bord de la mer,mouettes,mouettes,les algues en sachets péchées en mer de Chine.Stop.Armelle aimait bien le chocolat.Elle disait que c'est ce qui donnait le petit plus du charme de la couleur à ses taches de rousseur.Ils s'en foutent,eux.Une larme ne leur signifie rien.Nous accumulons nos morts et pas même le droit de sucer son carré en paix.Une larme n'appelle pas leurs yeux où ils entassent les tombes ,comme si de rien n'était.La vie d'un homme est aussi friable que la  queue d'un croissant.Moi ,je déjeûne le matin avec des petits bouts de lune trempés dans mon café.

                                                          "Gardien!"