jeudi

B me laisse.B me délaisse.Mon collier de toutou.Les trous dans le cuir.Les trous de cuir dans  mon collier .Dans mon collier de toutou.Les trous sont déchirés.Le collier lâche.Usure.Longe exacerbée.Le collier a lâché.La douleur aboie au fond des sacs.Des sacs bien ficelés jetés sur le pavé.Je m'assoie sur les sacs.Les pieds à plat sur le pavé.Les pieds collés ,serrés l'un contre l'autre ,avec le bout des chaussures qui luit ,comme à l'autre bout d'un monde.Mon pied gauche s'adresse à mon pied droit.Ils entament des mots.Des mots comme masturbation ,ballotage,ontologie,brosse à chaussures (ils se sentent concernés).Des mots comme  conjoinctions de subordination.Des mots qui font phrases.Des mots qui se serrent les uns comme les autres ,comme autant de foules de pieds droits et de pieds gauches, qu'on marierait à deux et tous ensemble entre eux ,en robes de tulle blanche,vive les mariés,vive les mariés ,vives les mariés,grains de riz,pluie,clameurs,sur une grande place commémorative, où un académicien en costume historique officie dans la forêt sémantique, où les des boussoles pendues oscillent aux branches,où ,où, où.Mes pieds savent.Mes pieds anticipent.Parler.Donner de la voix de par la puissance des ongles de ses orteils.Griffer le tronc des arbres dans la forêt jusqu'à ce que la sève s'en écoule ,rouge ,rouge feu,rouge d'un feu qui ne s'éteint jamais ,comme feu le frère jumeau du soleil qui s'attarde dans les brumes qui arpentent le pavé.

Je relis les discours de mes pieds qui croient encore à ce qu'ils disent.Mes pieds m'égarent.Ils oublient sous les tomes de leurs discours.Ils oublient de me dire.Ils cachent.Ils me cachent.Ils m'emmènent plus loin que le mot.Que le mot que je veux.Que le mot que je  creux.Que le mot que je creux.Pas creux ,non. Non. Le mot. Pas le mot. Ce que le mot couvre. M'enfouir sous les couvertures.Au chaud. Je creuse dans les mots. Je mets des doigts dans ma douleur. Les mots piquent. Les mots sont les épines de mon collier. Qui tombe de mon cou à bout de trous. Je crue dans les mots. Avec les doigts de la douleur. Les mots grattent. La douleur. Mes doigts frottent dans le trou des mots. La douleur enfouie. Le trou me gratte. Le trou est une pine dans la douleur des mots ,ouverte .Le trou est une pine de mots :le trou est creux, le trou creuse la pine, le trou pine le creux des trous des mots: je m'y rerouve bien !Mes pieds babillent sur le pavé, et l'on entendrait presque la sirène lancinante des bateaux qui rentrent au port, avec la promesse d'une bardée de marins à pompons sur les quais, prêts à se payer toutes les putes du port .

J'ai mal au cou. La trace du collier, la trace du collier qui fait tache sur la peau, la tache lourde qui étrangle mes veines, qui m'empèche de respirer, le sang qui culbute en boules, le sang qui fait siège dans la tache lourde, l'oxygène qui puise aux brumes du port les trous dans les poumons, alvéoles sous les bras, miel des mouches qui hibernent sous les rambardes des quais .Mes pieds se touchent.L'un contre l'autre.  Mon cou se libère du mal ,avec le cuir de ce collier qui tombe à la renverse, et qu'un marin va ramasser tout à l 'heure ,à l'aube de retour des boites, s'il n'est pas trop cuit, et il s'en fera une couronne de Jésus Christ, et les premiers travailleurs du jour qui le croisent, le regardent avec cet air que Judas eut sans doute (et qui fit tant de méprises),parce que le temps fait des dégâts avec son trou aussi, son trou qui le double.

Qui double l'autre?
Mon pied droit.
Mon pied gauche.